“The Queen died peacefully at Balmoral this afternoon. The King and The Queen Consort will remain at Balmoral this evening and will return to London tomorrow”. Le sobre communiqué du Palais de Buckingham renvoie à une règle fondamentale du régime monarchique : quand la Reine Elisabeth II meurt, le 8 septembre, le titre de souverain passe aussitôt à son fils ainé le Roi Charles III.
En termes concis, l’Académie française définit le « roi » comme « monarque, prince souverain d’un État ayant le titre de royaume ». Le dictionnaire constitutionnel précise que « ce titre est conféré à l’époque contemporaine au chef d’État qui tient sa fonction par le procédé de l’hérédité ».
Cela éclaire l’adage de l’ancien droit français : « le roi ne meurt pas en France », illustré par le mot de Louis XIV mourant au dauphin, son arrière-petit-fils, et aux officiers de la cour : « je m’en vais mais l’État demeurera toujours ; soyez-y fidèlement attachés ». La règle vaut pour les autres monarchies héréditaires. Elle est aussi retenue hors d’Europe, au Maroc et au Japon. L’ancien droit l’enseigne, « on tient en France pour loy certaine et indubitable, que jamais le royaume n’est vacant, qu’il y a continuation de Roy à Roy, que le mort saisit le vif, et que nous avons un Roy si tost que l’autre est mort, sans attendre couronnement, onction, ny sacre, et sans aucune solennité. » La pérennité et la stabilité de l’État ne peuvent être compromises par le décès du Roi, le prince héritier prend aussitôt la relève. Il n’y a pas de vacance de la fonction de chef de l’État, quelles que soient les formalités ou les cérémonies ultérieures et même en cas d’abdication. Naruhito devient héritier du trône du chrysanthème à la mort de son grand-père Hirohito le 7 janvier 1989, puis empereur le jour de l’abdication de son père Akihito le 30 avril 2019, même si son couronnement intervient le 22 octobre 2019.
Par le couronnement et l’onction des saintes huiles qui suivra, le Roi est sacré. La cérémonie lui confère une sorte de transcendance qui lui permet de dominer les contingences de la vie politique et le situe au-delà de son temps et de la société : en recevant les huiles saintes, la Reine Elisabeth et plus tard le Roi Charles III, comme les rois de France dans la cathédrale de Reims, ne sont plus une femme ou des hommes comme les autres. Autrefois, la sacralité de la fonction donnait au Roi de France un pouvoir thaumaturge ; de nos jours, elle emporte des conséquences sur l’existence du monarque et sur son mode de gouvernement. Il est cohérent aussi que le Roi soit le chef de l’Église nationale, le défenseur de la foi ou, comme au Maroc, le Commandeur des croyants, ou qu’il ait le titre de roi « très chrétien ». Dès lors, il eut été impensable que la Reine Elisabeth abdiquât en raison des vœux qu’elle avait prononcés et du sacrement qu’elle avait reçu. En revanche, il revenait au Parlement de Westminster d’autoriser l’acte d’abdication d’Edouard VIII qui n’avait pas été couronné et aux dominions de l’approuver.
Par ces règles s’affirment la pérennité et la primauté de l’Etat ou de la couronne qui est déclarée indisponible, car la royauté est considérée comme un office public dont le titulaire est au service du bien public, la res publica. La souveraineté, notion centrale de la monarchie et du droit public, « est la puissance absolue et perpétuelle d’une république » selon Bodin, le critère du pouvoir de l’État. Ce qui faisait dire à Louis XVI « la souveraineté est le plus grand de tous les pouvoirs, mais la moindre de toutes les propriétés. Les rois, comme rois, n’ont rien à eux que le droit, ou plutôt le devoir, de tout conserver à la société, dont ils sont les tuteurs et les chefs… ils doivent plus à leurs peuples, que les peuples ne doivent à leurs rois : ceux-ci doivent les moyens, mais le monarque doit la fin. » Par conséquent, le Roi n’est pas seulement un symbole d’unité, de continuité et d’équilibre, il en est le garant. Il incarne la nation, son identité historique, culturelle et sociale.
De ces principes résulte une autorité propre à la monarchie que l’illusion de « la fin de l’Histoire » n’a pas démentie face à la fragilité des régimes démocratiques dont les dirigeants sont, par essence, instables et éphémères. Douze monarchies subsistent en Europe, quarante neuf dans le monde, auxquelles s’ajoutent les neuf royautés coutumières au sein d’États africains et le cas particulier des trois rois sur le territoire français de Wallis et Futuna. Dans la vision occidentale, moderne, ces monarchies sont dites « parlementaires » pour la plupart, pourtant il entre dans la nature de la « monarchie » d’être « absolue » selon le néologisme créé sous la Restauration. L’absolutisme n’est pas le despotisme ni la tyrannie. Il faut entendre le terme absolu au sens de souverain, indépendant, autonome. L’unité française est l’œuvre des Carolingiens et des Capétiens ils ont imprimé à l’État une structure stable fondée sur l’hérédité en écartant l’élection primitive, la cooptation et le partage du pouvoir pour assurer au royaume une indépendance totale, « absolue », en le gardant de toute occupation ou invasion. Leur gouvernement était limité par les lois fondamentales du royaume portant notamment sur les règles de succession, par les libertés provinciales et locales, par les coutumes qui régissaient les rapports privés, par le maintien des assemblées de pays, des corps municipaux ou du clergé… Le Roi se réservait les affaires d’État : la guerre, la diplomatie, le droit public et pour le reste, la France était un « pays tout hérissé de libertés ». Les Rois ont unifié la France, la révolution et ses suites l’ont centralisée dans une mesure qui confine à un absolutisme tyrannique.
Les temps de désordre ou de guerre renvoient les peuples à la source de la légitimité et de la continuité. Dans les crises qui secouent la Belgique, le Roi Philippe apparaît comme le garant de l’unité nationale, comme le Roi Felipe VI en Espagne. Lors des funérailles de la Reine Elisabeth, les citoyens, les observateurs ou les journalistes républicains de l’Europe portent un regard admiratif et perplexe sur un régime qui leur paraît exotique. L’incompréhension est pire encore lorsque leur président prétend atteindre à une monarchie républicaine et en singer le style. La presse anglaise a pu titrer : Europeans are increasingly envious of our monarchy. No surprise when you see their alternatives…