Le Tchadien Moussa Faki, président de l’Union africaine, a participé, début juin 2022, à l’inauguration du Dialogue de Tanger, à l’initiative du Projet Aladin, une ONG qui promeut le rapprochement entre l’Occident et le monde musulman en Afrique et au Proche-Orient avec la bénédiction du Maroc et des Nations unies. A la tribune, il a dénoncé les fléaux qui contaminent l’Afrique : le terrorisme, la pauvreté… mais également le conflit en Ukraine.

En effet, une autre catastrophe se joue en Afrique. La zone Sahel et l’Ouest africain, déjà frappés par une chute du rendement des récoltes et l’instabilité sécuritaire, sont en première ligne : près de 40 millions de personnes auront besoin d’une assistance alimentaire et nutritionnelle dans les trois prochains mois.

Cependant, la crise alimentaire mondiale est palpable en Afrique depuis la première crise russo-ukrainienne (2013-2014), ces deux pays étant respectivement 1er et 4e exportateurs de blé dans le monde. Bien avant le début de l’opération spéciale russe en Ukraine, plus de 280 millions de personnes souffraient déjà de la faim sur le continent. Mais les pires conséquences du conflit pour l’Afrique pourraient être encore à venir. Les Nations unies alertent sur le fait que la poursuite de la guerre empêcherait les prochaines récoltes en Ukraine voire en Russie, ce qui pourrait entraîner une nouvelle hausse des prix du blé. Plus grave encore, les récoltes pourraient être menacées sur plusieurs années avec la chute des importations de fertilisants, riches en potasse (La Russie et la Biélorussie produisent près de 45 % de la consommation mondiale). Alors que l’Afrique est en hivernage, le volume des récoltes africaines risque, sans ces engrais, d’être fortement affecté.

Les perdants de la redistribution des cartes géopolitiques actuelles sont les populations les plus vulnérables. Sur 55 pays que compte le continent africain, 33 importent 90 % ou plus de leur consommation de blé, dont le prix a grimpé de plus de 45 % en Afrique depuis la paralysie de la mer Noire (Les tarifs des engrais ont augmenté de 300 % et le continent est déjà confronté à une pénurie d’engrais de 2 millions de tonnes). Au Maghreb notamment, la situation est critique : l’Algérie importe 75 % de sa consommation de blé, la Tunisie 62 % et le Maroc 38 %. Dans ce contexte, le royaume chérifien a su diversifier ses importations, en se tournant notamment vers la France, et subventionner le prix de la farine, du fait d’une forte inflation et de la suspension des droits de douane sur les importations.

Mais, les conséquences économiques de cette guerre sont comme des matriochkas (poupées russes ). Elle est un désastre pour les pays les plus pauvres, la nourriture composant l’essentiel du budget des familles. Des millions de personnes sont ainsi menacées de retourner dans l’extrême pauvreté.

Rappelons-nous que les révoltes arabes ont commencé à la suite de grandes sécheresses en Russie et en Ukraine, qui avaient fait monter les prix des marchandises importées au Proche-Orient. Avec l’effet démultiplicateur de sécheresses répétées, la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine aujourd’hui, l’instabilité s’est accrue. Celle-ci se mesure déjà aux tarifs qui explosent sur les étals des marchés depuis mars 2022. Les dégâts collatéraux sont déjà extrêmement importants : en 2021, 8 000 protestations sociales ont éclaté à travers le continent africain en réaction à la hausse des prix à la consommation. L’instabilité économique actuelle risque donc de conduire à d’importants mouvements sociaux et à une instabilité politique… comme si l’Afrique et le Proche-Orient n’en manquaient déjà pas.

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Professeur d'économie à Sciences-Po Paris et à l'ESCP-Europe. Directeur des études économiques à l'OEG.